Compte rendu de la séance du 11/12/2010

Excusés :

Michel Benoît – Michel Bastien – Michel Galtier – Françoise Mariotti

 

Présents :

Elie Nicolas – André Rousselet – Yves et Sylvie Bellekens – Edith Houspic – Patrick Augereau – Martine Giboire – Zoé Amiel – Bernard Taponnot – Alain Neveu – Cyril Poudevigne – Philippe Monnin – Jean-Luc Bernet

 

 

I – Un peu de bibliographie pour se mettre en jambes

Présentés par Élie Nicolas

« Traité de l’âme », Aristote – Editions Agora

« Épicure et son école » – Geneviève Rodis-Lewis, Editions Gallimard

 

Présenté par Jean-Luc Bernet :

Dounia Bouzar « Douze études de cas pour défendre la laïcité »

 

II – Rappel du calendrier :

  • samedi 8 janvier : rencontre avec l’association « Plume »

  • samedi 12 février : Xavier Bonnet (pharmacien), les manipulations commerciales sur les médicaments

  • samedi 26 mars : le test de la scientologie, Françoise Mariotti

  • samedi 16 avril : biologie, biotechnologies, OGM, Patrick Augereau

  • samedi 14 mai : les nanotechnologies avec Florian Olivier

  • samedi 18 juin : assemblée générale statutaire

 

III – Programme du jour : présentation de l’ouvrage collectif « Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête », par Jean-Luc Bernet

 

L’ouvrage, évoqué par Alain Neveu dans la séance précédente est le compte-rendu d’un colloque organisé sous le même intitulé par deux personnalités particulièrement intéressantes, Sylvie Brunel et Jean-Robert Pitte, tous deux géographes. Les différents intervenants ont remis leur communication, et c’est l’ensemble qui a été publié sous ce titre, et sous la direction des deux auteurs en question. L’introduction très alléchante laissait espérer une démarche d’ensemble cohérente et solide assurant la critique, voire prenant le contrepied d’un éco-catastrophisme qui, sous la pression d’un écologisme mal compris (cf les OGM), fait parfois figure de pensée unique et relègue au second plan une véritable réflexion scientifique.

 

L’introduction, rédigée conjointement par les deux auteurs précités, s’avère très alléchante et la très courte interview de Sylvie Brunel, qu’on peut réécouter sous le lien suivant1 laisse entrevoir, malgré la mauvaise qualité du son, une démarche susceptible d’intéresser un Cercle zététique.

 

Hélas, l’ensemble s’avère bien décevant. Sylvie Brunel à qui j’en ai fait la remarque en convient d’ailleurs, laissant entendre que c’est le risque des ouvrages collectifs. Globalement, hormis quelques textes qui ne réussissent pas à sauver l’ensemble2, on a un ensemble de platitudes truffées de raisonnements abscons et même d'énormités qui sentent pour certaines leur climato-scepticisme façon Allègre! Dans ce fatras, les idées intéressantes et/ou nouvelles se comptent sur les doigts d'une main. On comprend et on peut partager jusqu’à un certain point l'idée de combattre l'écocatastrophisme dans ce qu'il peut avoir de manipulateur et même de démobilisateur, mais le résultat n'est pas au rendez-vous.

 

Le compte-rendu que je vous propose est donc une forme de fiche de lecture pas vraiment objective, sur les différentes communications qui composent l’ouvrage, à charge pour chacun de s’y reporter s’il/elle veut se faire sa propre opinion.

 

Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête

sous la direction de Jean-Robert Pitte et Sylvie Brunel 

 

(les extraits en italique figuraient dans le diaporama Power Point que j’ai utilisé pour soutenir ma présentation)

 

 

  1. Intro de Jean-Robert Pitte et Sylvie Brunel : RAD

Catastrophisme, fausses assertions, apparition d'une nouvelle religion fondée sur la peur, l'obscurantisme et la culpabilisation, essor de prédicateurs d'autant plus influents qu'ils appartiennent aux plus hautes sphères de la société, catéchisme vert et contrôle social exercé au nom du prétendu bien-être collectif, ne sommes-nous pas en train de faire fausse route ?

 

2) Ecocatastrophisme et développement durable, de Yvette Veyret (Université, Naterre) : glisse sans arrêt d’un rappel des processus d’évolution de la pensée à des jugements. Parfois mauvaise foi, exemple page 47. En gros, les écocatastrophistes d’aujourd’hui ressemblent aux forestiers du milieu du XIXe qui ont prétendu (sic) que l’engravement du port de Bordeaux était lié à la déforestation du Lozère et de l’Aigoual. D’autant plus bizarre que les forestiers ont intérêt à planter de la forêt, mais tout autant à la couper. On a donc là un exemple d’une peur justifiée, et non pas irrationnelle, débouchant sur une vision systémique parfaitement organisée, des décisions politiques efficaces et rapides, le PNC étant un siècle plus tard l’aboutissement de ce processus.

Une certaine mauvaise foi (citation de Cousteau non référencée page 49). « On » dénonçait. Qui ? Page 50

Des accès complotistes : page 51

 

3) Le réchauffement climatique.

Là on est en plein climatoscepticisme. Argument repris à l’envi, déjà utilisé : l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère suit le réchauffement climatique et ne le précède pas (contredit d’ailleurs un peu plus loin). Le CO2 n’est pas le seul GES, c’est surtout la vapeur d’eau, on ne prend pas assez en compte les variations du climat solaire, etc.

Complotisme encore : cf. page 77. Au secours, ce sont les ONG qui ont pris le pouvoir.

Finalement, le réchauffement est peut-être une bonne chose : pensons à toutes les régions qui vont y gagner.

Le comble, pour une géographe : page 81.

 

« Comment alors comprendre qu’une montée du niveau marin d’un demi-mètre, répartie sur cinquante ans, impose la migration de cent millions de personnes ? »

 

Article au demeurant confus, embrouillé, brouillon (cf. page 72, 79) truffé

- de références discutables (citer un obscur groupe de rappeurs comme illustration de l’hypothèse Gaïa page 56…),

…il faut la soigner. » Dernier exemple, celui du refrain de la chanson des rappeurs marseillais Psyk4 de la Rime : « Le monde est stone, l’homme s’occupe de l’avancée de la technologie au lieu de soigner nos hémorragies et celles de notre Terre. »

 

 

- de propositions non évaluées (cf. sur le captage et la compression du CO2 page 82, et l’article du Monde).

 

« Une centrale au charbon munie d’un capteur et d’un compresseur émet 90% de CO2 en moins qu’une centrale non équipée. Leur généralisation permettra de reconsidérer le charbon comme une solution sans doute imparfaite à cause de l’enfouissement du gaz, mais qui permet de gagner du temps, de ne pas répondre à la pression de l’urgence, en permanence mise en avant. »

 

Finalement, Copenhague ne pouvait qu’échouer (à voir) et ce n’est pas si grave. Tous les discours d’alerte se réduisent à du millénarisme apocalyptique. Fermez le ban !

 

4) Entre recherche scientifique et émotions médiatiques (Alain Miossec)

* éloge de la mondialisation ou des mondialisations. OK (pp 103/105)

* des illustrations peu probantes et même qui se retournent contre l’auteur (la pêche pp 105/107) et cette référence idiote, je cite textuellement : 

 

« Michelet comme Alexandre Dumas, dans des registres différents, exaltent les richesses infinies de l’océan ; on reste même confondu devant le constat.

Que dit Dumas ? « On a calculé que si aucun accident n’arrêtait l’éclosion de ces œufs et que chaque cabillaud venait à sa grosseur, il ne faudrait que trois ans pour que la mer fût comblée et que l’on pût traverser à pied sec l’Atlantique sur le dos des cabillauds » !

 

 

* des incantations régulières (pas de raison de s’inquiéter (96, 107, 110) ; « on ne saurait reprocher aux agriculteurs de polluer » (108/109)

* deux exemples pas du tout justifiés ni convaincants des excès d’annonces catastrophistes : les coraux, les marées vertes. Pourquoi ? Mystère (107/108)

* des passages confus ou discutables « le temps de la nature n’est pas celui de l’homme » (108) !

* des comparaisons idiotes (alchimistes p 108),

* des procès d’intention (109),

* des contradictions : on affirme qu’il n’est de nature que de l’homme puis qu’il est « pervers » de rendre l’homme responsable de tout (109), passage sur la Camargue et le Bangla Desh p 95

 

Discours productiviste classique. Surtout ne changeons et ne faisons rien !

 

5) Pour l’eau, le partage plutôt que le pillage. Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l’eau.

Difficile de savoir ce qu’est exactement le CME : fausse ONG ou vraie entreprise humanitaire ? Le Président lui-même est le directeur de la SEM qui gère l’eau à Marseille. Il a été adjoint de Deferre avant de devenir directe des services de Vigouroux (drôle de parcours).

Son texte ne nous apprend strictement rien, il n’est qu’une succession de pétitions de principe.

 

6) La biodiversité, Georges Rossi, universitaire

Rapports homme/nature : ne pas sanctuariser la nature, ni déifier la biodiversité, ne pas oublier que la nature elle-même fait évoluer cette biodiversité en permanence

Qu’est-ce que la théorie du climax qui revient souvent ? Je comprends le concept, mais pas la théorie. Même question sur la théorie des perturbations structurantes : la seule mention que l’on trouve sur Internet est due à G. Rossi himself.

Exemples intéressant sur l’idée : retirer les hommes ne fait pas gagner en biodiversité. Page 147 et 158. Parler du PNC. Exemple des Iks.

« Un des exemples les plus spectaculaires est peut-être celui des parcs australiens de Kakadu et d’Uluru (Ayers Rock) dans lesquels la mise en défens et l’expulsion des aborigènes a entraîné une réduction drastique de la biodiversité végétale et animale, jusqu’à ce que les responsables du parc redonnent, en 1980, la gestion du parc aux aborigènes qui y reprirent, avec succès, leur système de feux séquentiels. »

 

Critique des aires protégées (p 157). Bonne remarque p 156.

Manque d’exemples : page 158

On nous dit qu’il faut changer de paradigme sans définir ce nouveau paradigme.

Critique de la vision européocentrée de la biodiversité érigée en dogme. OK

 

7) Forêts : chronique d’une mort annoncée, Paul Arnould

Variation sur le champ sémantique des qualificatifs accolés à la forêt (primaire, notamment, qui paraît incongru par sa référence abusive à l’ère primaire). Lui préfère vieille forêt (page 173). Grosse avancée scientifique…

Exploration de l’idée de la forêt comme concentré de nos représentants autour du sexe et de la mort. « Théorie » du climax. Cf. 179

Des affirmations plus que discutables

« La saga des pluies acides devrait inciter à la modération » (p 163). Comme s’il ne s’était rien passé entre les années 70 et les années 90 ! Prise de conscience, évolution des techniques, mutation technologique et transfert d’une partie des industries polluantes et surtout chute du Mur. Le « conte édifiant » se termine sur le constat que la mesure des pluies acides n’était pas la même (selon lui) ; cela reste à voir. Cf. les campagnes de la Gueule ouverte.

p. 164 : prend les gens pour des abrutis qui ne croient qu’à la forêt sauvage.

Cite (p 173) la cartographie des forêts anciennes publiée par Greenpeace comme exemple d’écocatastrophisme « déloyal », culte de l’exagération.

Constate que la forêt est restée à l’écart des politiques européennes agricoles

Critique la DATAR, sans expliquer pourquoi (p 177), sauf sur le fait qu’elle a ignoré la forêt.

Une fois de plus, aucune information ni idée nouvelle.

 

8) 7 milliards d’hommes : la terre est-elle surpeuplée ou vieillissante ? Gérard-François Dumont (recteur ?? Prof à la Sorbonne).

Aucune idée nouvelle. Explique la transition démographique.

Cite sans référence Cousteau comme un malthusien total (188/189) et même criminel.

Vérifier Yves Paccalet. Exact, collaborateur de Cousteau. Son titre « L’humanité va disparaître, bon débarras » est volontairement provocateur. Notre auteur le prend au premier degré !

Donc, pas d’explosion démographique, mais transition d’un régime (mortalité et natalité élevées) à un autre (mortalité et natalité basses). On est d’accord.

 

 

9) Sylvie Brunel : nourrir demain les hommes

Combat l’idée du risque de famine généralisée.

Critique les coûts de l’agriculture productiviste (228/229)

Ne nie pas le changement climatique (229/230) mais ne s’étend pas sur ses conséquences (certaines positives, d’autres non…, 230)

Soutient le concept d’agriculture écologiquement intensive (231)

 

« L’agriculture sait donc qu’elle doit désormais concilier les préoccupations environnementales et l’objectif de production accrue pour répondre aux attentes sociétales et au défi démographique. Elle doit ainsi devenir, selon la formule de Michel Griffon et Bruno Parmentier, « écologiquement intensive ».

 

Allusion intéressante aux OGM, que je partage (233, haut)

Des remarques bizarres sur la concurrence à l’agriculture apportée par des usages énergétiques. Il n’est pas question des agricarburants point sur lequel elle reste ambiguë (quoique : p. 221) mais notation bizarre en bas p. 221.

 

10) Du fast food au fast good, Gilles Fumey

Quel intérêt ici ? Il démontre qu’il y a une réaction aux ravages du fast food, tant pour des raisons sanitaires que gustatives. Et après ?

 

11) Pour une vision optimiste de la croissance, Frédéric Teulon

Article très dense, au contraire des autres, trop, mobilise plusieurs approches de la croissance au service d’une démonstration convaincante en 8 points :

  • la croissance reste forte au niveau mondial : pas de stagnation

  • même si elle n’est pas répartie également (il appelle cela « polarisation spatiale de la croissance », objet selon lui des géographes ou, bizarrement, des tiers-mondistes plus que des économistes)

  • diffusion générale de la croissance et amélioration du niveau de vie (même en Afrique) même si des obstacles subsistent

  • la croissance se fonde sur le progrès technique plus que sur l’engagement de moyens de production et en ce sens elle est potentiellement accessible à tous (reprise des thèses de Solow)

  • la réduction des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement peuvent être traitées avec les outils de la science économique.

Vérifier si, comme il le dit, les objectifs du Millénaire pour le développement ont bien été remplis (il ne dit pas d’ailleurs à quelle date)

Certaines démonstrations sont ardues (croissance exogène/endogène 275/280)

 

12) Christian Pierret : comment maîtriser le problème énergétique

Plaidoyer pro nucléaire nuancé.

Souligne les contradictions des attitudes (p. 300)

« Ce qui frappe l'observation objective c'est que nous ne manifestons pas suffisamment d'inquiétude citoyenne face à l'urgence de solutions novatrices énergétiques : notre conscience est « noble » et nous ne sommes pas mobilisés surune « urgence » que nous trouvons valable pour les autres (« la Chine pollue »...) mais pas pour nous-mêmes : on se prononce « contre les gaz à effet de serre » mais on ne veut pas changer ses habitudes de vie. On est « pour l'éolien » et les ENR (sauf près de sa résidence secondaire...) mais on leur fait le procès d'atteinte au paysage, de faire du bruit, de menacer les oiseaux... On,se prononce pour les barrages mais on proteste contre l’ennoyage des vallées, pour la biomasse mais contre la génétique, même contrôlée, et contre l'industrialisation de certaines cultures... »

 

Pour l’efficacité énergétique : rejoint Cochet (p 302)

Rappelle que les efforts les plus significatifs ont été réalisés par l’industrie (p 304)

 

13) Si vis pacem, para bellum, Philippe Boulanger

Les quatre « familles » de conflits

  • Guerre internationale

  • Guerre intra étatique

  • Guerre interne institutionnalisée

  • Guerre extra systémique

 

D’abord rappel sur la diminution du nombre de conflits. Quelques chiffres (p 311/312)

  • - 40% de conflits entre 1992 et 2005

  • - 80% de massacres et de génocides (??)

  • - 30% de réfugiés- de coups d’Etat: 25 en 1963, 10 en 2004

  • - 17 conflits recensés en 2007 contre 29 en 2003 et 51 en 1991

 

Rôle positif de l’ONU (318/319)

Entre 1989 et 2000, l’ONU contribue à réaliser 25 des 39 accords de paix signés pour mettre fin à des conflits armés

Importance de la dimension environnementale dans les affaires militaires (321 et s) et dans la diplomatie internationale : convention ENMOD du10/12/76 (322)

 

Qui plus est le militaire devient protecteur de l’environnement (323/324) !!!

 

14) Conclusion J-Robert Pitte

Rappelle d’abord quelques bonnes nouvelles (343/344)

Souligne l’importance des organisations de gouvernance mondiale…

« Leur existence est infiniment supérieure à leur absence et leurs multiples réunions permettent rencontres et dialogues qui valent toujours mieux que l’invective et l’enfermement. »

 

…et même, ce qui est peu courant, l’intérêt des multinationales

« Ajoutons les entreprises multinationales qui constituent aussi de précieux instruments de dialogue. Quelles que soient les critiques dont elles font l’objet, le fait qu’elles soient tendues par nature vers la réussite économique les rend précieuses. »

 

 

IV – Ajout personnel

Ce 11 décembre, j’ai dit mon regret de ne pas encore avoir reçu un ouvrage que j’avais commandé (il est arrivé le matin même chez moi) pour le proposer en bibliographie, à savoir : « Le populisme climatique » (chez Denoël) de Stéphane Foucart, journaliste scientifique au Monde.

 

Or autant « Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête » était décevant, autant celui-ci est passionnant. Il s’agit d’une enquête scientifico-journalistique digne, par certains de ses aspects, d’un travail de grand détective, sur les voies et les moyens –et sur les motivations- du climato-scepticisme. Les cibles privilégiées, ce sont bien sûr d’abord Allègre et Vincent Courtillot. L’auteur rappelle que le second à la fois l’exécuteur de basses œuvres, l’âme damnée, le père Joseph et le factotum du premier. Mais au-delà, c’est tout le lobby du climato-scepticisme qui est mis à nu, lobby dont Stéphane Foucart démontre avec talent à quel point il a partie liée avec les grands intérêts industriels qui sont mis à mal par les conclusions du Giec. On retrouve les mêmes mécanismes que dans l’affaire du tabac, de l’amiante et autres joyeusetés.

 

Je ne saurais donc trop vous encourager à vous procurer ce passionnant opuscule ainsi que, si vous en avez l’occasion, la publication de Sylvestre Huet, lui aussi journaliste scientifique mais à Libération, qui a sorti très à chaud –ce qui lui enlève sans doute, je vous dirai ça quand je l’aurai lu, une partie de la pondération et de l’objectivité qui font la valeur du bouquin de Stéphane Foucart- « L’imposteur, c’est lui : réponse à Claude Allègre ».

 

Mais il s’y trouve également un passage qui nous concerne directement, et c’est ce qui motive cet ajout, dont il me reste à espérer que vous aurez la patience de le lire jusqu’au bout. Le voici, pages 300/302, scanné par mes soins.

 

 

Ce n'est pas le seul3 (Stéphane Foucart parle des « paradoxes » qui font que par exemple on trouve des écologistes patentés dans les rangs des climato-sceptiques les plus militants, précision de Jean-Luc). Si phénoménal que cela puisse paraître, une part du mouvement rationaliste - dont la raison d'être est précisément d'être attaché à la science - est plus ou moins climato-sceptique. Par exemple, c'est à l'invitation du physicien belge Jean Bricmont, l'une des personnalités référentes du mouvement rationaliste, que Vincent Courtillot est venu le 15 septembre 2010 s'exprimer sur le climat au cours d'un colloque organisé à l'Académie royale de Belgique.

Historiquement, le mouvement rationaliste - dont les principaux représentants sont l'Union rationaliste et l'Association française pour l'information scientifique (AFIS)4' - est engagé dans la lutte contre les pseudosciences (astrologie, paranormal et autres charlataneries) mais aussi contre la psychanalyse ou le mouvement écologiste, considéré comme opposé au développement des sociétés et à l'émancipation des hommes par le progrès. Par exemple, les tenants du rationalisme à la française sont largement favorables à la culture des OGM et traquent avec raison, dans les quelques publications scientifiques qui mettent en doute leur innocuité, les moindres failles statistiques... Le rationalisme à la française est donc un mouvement issu de la gauche progressiste et laïque, pour qui la science est essentiellement un moyen de désaliéner les hommes et d'ouvrir de nouveaux horizons aux sociétés.

(…) Les sciences du climat (…) viennent (…) rappeler ce fait qui, s'il est scientifique, n'en est pas moins désagréable et limitant : le monde est fini au sens mathématique du terme. Il est restreint. L'atmosphère terrestre ne peut recevoir tout le carbone émis par les activités humaines sans que les sociétés en payent un jour le prix, sans doute élevé.

Ce paradoxe des sciences du climat et de l'environnement en général ne passe pas. Pour de nombreux membres du mouvement rationaliste, il est simplement impossible d'épouser les conclusions d'une science que les écologistes revendiquent pour justifier leur action et leur engagement. Il en résulte des tiraillements qui se lisent, parfois, dans Science et pseudosciences, la revue éditée par l’AFIS. Ainsi, le numéro de juillet 2010 ouvre largement ses colonnes à un climato-sceptique comme Benoît Rittaud, dont on a vu plus haut à quelles sources il puisait les grandes lignes de son argumentaire. Ce même numéro donne également la parole aux climato-sceptiques français Vincent Courtillot et Jean-Louis Le Mouël.

En toute théorie, le rationalisme ne se confond pas avec le scientisme. Pourtant, nombre de sympathisants de l'Union rationaliste et de l'AFIS sont séduits par le discours de Claude Allègre et son exécration des sciences du climat. Le biologiste Pierre Joliot, grand scientifique, homme de gauche et militant historique de la cause rationaliste, met en garde contre cette tentation. « Ce qui est en jeu ici est la destruction de l'image de l'ensemble de la communauté scientifique auprès du public, explique-t-il sans ambages. L'irrationalisme est ce qui menace notre société. Pour caricaturer volontairement les choses, on peut dire que, dans la tradition française, il y avait d'un côté la gauche et les scientifiques qui défendaient le rationalisme et, d'un autre côté, la droite, plus imprégnée de tradition, de religion, etc. Aujourd'hui, l'irrationalisme pénètre aussi dans la société par la gauche. D'une part avec les écologistes, dont l'action et l'engagement sont nécessaires et même essentiels, mais dont l'attitude vis-à-vis de la science est parfois irrationnelle et contre-productive. Et d'autre part avec des gens comme Claude Allègre, plutôt censé défendre le rationalisme, mais qui par son attitude décrédibilise ce qu'il voudrait défendre5'. »

(…)

Les sciences du climat brouillent les cartes et les repères. Dans ce dossier compliqué, des écologistes se retrouvent aux côtés des plus gros pollueurs de la planète, mais ce n'est pas le plus étonnant. Des scientifiques marqués à gauche forment des alliances improbables avec des lobbyistes ultra-libéraux.

 

 

 

 

Et pour faire bonne mesure, voici un dernier extrait, p. 311, qui pointe du doigt des inepties sous la plume d’une auteure dont, tout béotien que je suis, j’avais aussi signalé les propos imbéciles dans ma présentation le 11 décembre.

 

 

 

La faillite des élites n'est pas seulement le fait d'individus : elle est aussi le fait d'institutions. L'Académie des sciences française en offre l'éclatante et paradigmatique démonstration en se métamorphosant, sur l'une des plus graves questions de notre temps, en café du Commerce. (…) En France, (…) débattre de tout et de n'importe quoi semble être une gloire nationale. (…) En mars 2007, on a vu que l'Académie avait adressé, sur papier à en-tête de l'auguste institution, la courbe de Beck (La courbe de Beck fait notamment l’objet d’une présentation détaillée pages 64/67. Il s’agit d’un graphique totalement fantaisiste censé démontrer que la concentration en CO dans l’atmosphère connaît des hauts et des bas indépendamment de l’activité humaine depuis deux siècles. Stéphane Foucart explique pourquoi cette courbe est « absurde » et conclut qu’elle ne devrait susciter qu’un simple éclat de rire, mais qu’elle suscite aussi la « consternation » des climatologues car elle se conjugue à un conspirationnisme de la plus belle eau. Voir la suite dans le livre lui-même ! Précision de J-Luc) à ceux qui devaient participer au débat. Cette «onction» de l'Académie a-t-elle permis de maintenir vivace cet énorme canular scientifique? Toujours est-il que trois ans plus tard la fameuse courbe de Beck ressurgit. Elle apparaît citée, là encore comme une véritable donnée scientifique, par la géographe Martine Tabeaud (université Paris-I), dans un ouvrage collectif (Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête, J.-C. Lattès, 2010) coédité par la Société de géographie !

 

 

1 http://vimeo.com/15098374

2 L'introduction co-signée, la conclusion de Jean-Robert Pitte, le texte de Sylvie Brunel elle-même, qui ne fait sans doute que reprendre des écrits et des analyses antérieures mais qui est du moins de bonne tenue, et le texte de Frédéric Teulon, trapu mais solide et qui mérite une mention spéciale.

3

4L'AFIS est parrainée par de prestigieuses personnalités scientifiques comme le chimiste Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie), le physicien et mathématicien Alan Sokal, le mathématicien et académicien Jean-Pierre Kahane, le physicien Jean Bricmont, l'archéologue Jean-Pierre Adam, etc.

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